Barbara

Publié le par Angua


Une femme qui chante
 


     Voilà maintenant dix ans que Barbara nous a quittée, mais elle demeure l'incontournable « dame brune ». Il nous semblait donc évident de célèbrer dans cette édition le talent d'une artiste incomparable, mais n'est-ce pas un adjectif caractéristique des artistes ? Une simple biographie nous semblait trop incomplète pour rendre compte de son oeuvre. Nous avons donc décidé d'en parler, simplement, comme on parlerait d'une vieille amie partie en voyage.

 


         Si l'Aigle Noir est connue de tout un chacun, il n'en est pas de même pour le reste de son répertoire, ce qui est bien dommage.
Au côté des chansons qui ont fait son succès et qui le méritaient bien, il existe de petites perles méconnues, tel cet hymne à l'automne, bien d'actualité :



Il automne à pas feutrés

Il automne à pas furtifs

Il automne à pas craquants

Sous un ciel gris délavé

(Il automne)



         Et pourtant, la chanteuse de minuit était loin de ressembler à une présentatrice de météo. Alorsbarbara-7 que les yéyés font un malheur, le nôtre, Barbara apparaît à l'horizon de la chanson française pour tenir compagnie à Jacques Brel, Edith Piaf, et autres auteurs-compositeurs-interprètes. Vêtue tout de noir parce que « c'est élégant », on la critiquera pour sa sombre attitude, ce à quoi elle répondra : « Franchement, vous me voyez en blonde avec des couettes et une robe rose pour chanter l'Aigle noir ? » Comme quoi, Madame avait un minimum de dérision, ceux qui en doutaient en sont pour leur frais. Barbara a de l'humour, elle le chante. Les premières chansons qu'elle interprétera seront des reprises particulièrement croustillantes, où elle joue de la voix avec une théâtralité rafraîchissante.

 

 

Ah Monsieur, répond la petite bonne

Ce que vous me dites n'a rien qui m'étonne

Que je m'y prends mieux que Madame, pardi

Tous les amis de Monsieur me l'ont déjà dit.

(Les amis de Monsieur, Fragson)



         De l'humour partout, jusque dans ses combats. Dans les années 80, le SIDA devient la cause pour barbara-8laquelle elle milite, y compris pendant ses concerts où elle distribue des préservatifs au public, accompagné d'un petit discours bien de son style : « Les préservatifs, ce n'est pas fait pour se les mettre sur la tête, parce qu'avant qu'on trouve le vaccin, il va falloir attendre. Alors, à part, l'abstinence-chacun fait comme il veut-, à part la fidélité-chacun fait comme il dit- ces préservatifs, il faut les mettre. » Et de chanter Dis quand reviendras-tu ?, une femme qui quitte un homme par lassitude de l'attente.

 

 

 

Je ne suis pas de celles qui meurent de chagrin

Je n'ai pas la vertu des femmes de marins



      Barbara, une femme libre? Certainement. Infidèle ? Certainement pas quand il s'agit de son public qu'elle appelle son amant aux milles bras. Excessive dans son métier qu'elle sacralise, elle interdit quiconque de toucher ses costumes, d'interrompre ses répétitions. Possessive avec ses musiciens, ils vivent chez elle lors des préparations d'albums ou de tournées, c'est-à-dire presque tout le temps. Elle leur écrira même une chanson (Mes hommes).

Quelques uns de ces compagnons de route laisseront leur trace comme Georges Moustaki, dont elle relança la carrière en l'obligeant à écrire une chanson. « Pas de chanson, pas de télé » dit-elle à celui qui passe son temps les yeux rivés sur l'écran, fascinés par cette boite à images que tout le monde ne possède pas encore. Il écrivit donc pour sa longue dame brune une chanson au titre explicite (La dame brune). De même, Serge Reggiani lui doit beaucoup, puisqu'elle le prit sous son aile et lui apprit à chanter de A à Z. S'il lui en est reconnaissant, il chantera tout de même cette chanson, Madame Nostalgie, que les fans de la chanteuse apprécieront peu :

 

 

Madame Nostalgie depuis le temps que tu radotes et que tu vas de portes en portes répandre ta mélancolie [...]

Madame Nostalgie, pardonnes moi si j'en ai marre de tes dentelles grises et noires, il fait trop triste par ici [...]

Madame Nostalgie, tu pleures, tu pleures, tu pleures, tu pleures, mais ce soir, je n'ai plus le coeur de partager tes insomnies

 

 

       Il ne fut pas le seul à le penser. Et pourtant, ces chansons désespérées ont sans doute apaiser bien des âmes en souffrance. Nombreux sont ceux qui se sont consolés à l'ombre de ces mots, qui se sont raccrochés aux notes de son piano.

 


Ils ont beau vouloir nous comprendre

Ceux qui nous viennent les mains nues

Nous ne voulons plus les entendre

On ne peut pas, on n'en peut plus 

(Le mal de vivre)


       Alors, oui, Barbara chantait la mélancolie, la solitude, la difficulté de vivre, le deuil, la séparation. Mais pas plus que d'autres. Elle ne se voulait que femme qui chante, ni plus, ni moins. Une femme qui ne faisait qu'accomplir ce dont pour quoi elle était faite, murmurer, crier, amuser, consoler, raconter, parler d'amour, « zinziner » comme elle disait. Lorsque sa voix s'est brisée, que son corps a refusé de continuer sa route, elle n'a eu de cesse de vouloir garder le contact avec son public, jusqu'à ses mémoires inachevées « Il était un piano noir... » dans lesquelles elle dit son enfance meurtrie, sa folie de chanter, sa vie de femme et dont les dernières pages sont une déclaration qui dépasse encore Ma plus belle histoire d'amour dédiée à son public.


« Ai-je assez partagé? Ai-je assez répondu à votre attente ? J'ai reçu tellement d'amour, tellement.[...] Parfois vous étiez lourds, envahissants, terribles; je me sentais poursuivie, harcelée, dévorée. J'ai eu souvent très peur, mais je vous ai aimés. Jusqu'à l'épuisement de mon corps, de mon coeur, de mon âme, jusqu'à la douleur, l'aliénation, et quand le 26 mars 1994, après mon tout dernier concert à Tours, je suis remontée dans ma voiture, je peux vous dire que je n'étais plus qu'une femme épuisée, douloureuse, vidée, morcelée, déconstruite.[...] J'étais prostrée, avec tout cet amour, ces regards, vos mains tendues. Mais, malgré mon isolement, malgré ce long deuil que je venais de commencer, au terme de ma belle et intense vie de nomade, j'étais une femme heureuse.»


       Pour contrer tout critique concernant un manque d'objectivité évident lors de la rédaction de cet article, nous précisons qu'elle ne savait ni cuisiner ni tricoter et qu'elle n'avait aucune notion de l'argent, informations hautement importantes, vous en conviendrez...


 




 
Angua
article de novembre 2007


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Publié dans Journal

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